Petits mensonges consensuels d'eRepublik, la France insignifiante partie 2

Day 686, 10:46 Published in France France by Ivan Dusaiks



En ouvrant mon horrible boîte à message, que chaque jour que les serveurs font, je redoute, j'ai eu la surprise d'être contacté par l'un de mes filleuls, avec qui je n'ai pas eu de contacts depuis un certain temps. Il me disait, en substance, qu'il se lassait d'un jeu se résumant à suivre des ordres, travailler, prendre des skills, lire la presse et flooder sur IRC, et je dus reconnaître qu'en dépit de tout cela, en dépit de tous ces conseils que l'on donne habituellement pour ferrer le poisson – d'aucun diraient le gogo à 5 golds et le travailleur assidu, puisqu'il s'agit bien d'énoncer dans cet article nos petites bassesses – cela n'était évidemment pas suffisant.

Ce que l'on recommande habituellement en effet, c'est de rechercher en quelque sorte le contact d'autres êtres humains, au sein de ce que l'on nomme fort opportunément la communauté, sans trop savoir ce que l'on conseille par là. Prendre contact, c'est bien, mais si cela se limite à des échanges de banalités (« bonjour, je viens acheter du beurre, merci, au revoir »), il est clair que c'est sans intérêt, de même que la participation en elle-même n'apporte strictement rien. Et contribuer d'une façon jugée convenable apporte aussi fort peu.

Cependant, la rhétorique du « rouage essentiel de la machine », en dépit de son échec flagrant, semble avoir encore de beaux jours devant elle, et je prends aujourd'hui conscience des nombreux « filleuls » que j'ai laissé au bord de la route en n'ayant pas de vision claire de ce système. Non pas que le remords démange, en définitive, la question n'est pas d'ordre moral, mais elle est fonctionnelle : les joueurs s'en vont, et on ne sait toujours pas pourquoi.

Certains se retranchent derrière l'argument du « eRepublik n'est pas fait pour tout le monde », mais c'est là rejeter la responsabilité du manque d'attractivité de notre communauté sur ces intrus involontaires, c'est en quelque sorte nous dédouaner de notre propre médiocrité, dans laquelle nous nous complaisons allègrement en répétant à qui mieux mieux qu'être un pion sur l'échiquier, « c'est super, tu vas voir, tu vas t'éclater avec nous à suivre nos directives », alors que c'est d'un manque d'intérêt certain.

En réalité, ce genre d'affirmations a même l'effet inverse à celui désiré ; au lieu de promettre un espace au sein duquel peuvent s'exprimer des interactions libres entre individus (je souligne avec force), on promet l'intégration à une grande mécanique impersonnelle et dirigiste, digne de l'empire soviétique, dont la démotivation populaire n'est pas sans parallèles, bien que ce soit tout autrement dramatique, avec notre petite tragi-comédie virtuelle. C'est mensonge (politique) que de croire que le monde réel n'a pas à servir de comparaison ici ; comment les gens seraient-ils « surréels », comme en dehors de l'humanité ? Va-t-on me citer André Breton ?

Ce que n'avaient pas compris les dirigeants de feu l'URSS, c'est que l'appartenance à une communauté extrêmement soudée et unifiée, se battant pour un idéal commun dans lequel personne ne peut s'identifier, n'intéresse que ceux qui sont au-dessus et tirent en se marrant les ficelles, les donneurs d'ordres, ceux qui occupent justement les niches qui eux les motivent à poursuivre leurs efforts.

Ce que l'on désire tous, par l'interaction sociale, c'est bien être connu et reconnu, comme l'avait justement souligné Spinoza, reconnu en tant qu'individus existants, ce qui permet ensuite – éventuellement – de s'affirmer en tant que tel, de façon créative, ou de se limiter à la stricte reconnaissance, qui seule est une quête de domination. Mais au delà de ces gloses empruntées au jargon philosophique, une chose demeure, c'est l'inadéquation flagrante d'un idéologie organique (comprendre : l'idéologie d'une société faisant corps), essence même de ce microcosme français diablement inefficace et responsable de suicides virtuels, comme on pourrait se réfugier dans la boisson si cela était faisable.

La dernière fois que j'avais exposé les tares de notre espace bureaucratique, l'on m'avait reproché de n'apporter aucune alternative, aucune solution. Elles me semblaient évidentes, mais s'il faut les exposer, cela ne fait que rallonger l'article de façon innocente. Ceux qui pensent avoir compris le motif de mon argumentaire peuvent donc s'arrêter là. Mais gare aux commentaires infondés.

Reprenons. Il est manifeste que le désir de reconnaissance de certains écrase littéralement les bourgeons de ceux des autres, reconnaissance qu'ils acquièrent par le fonctionnement optimal de leur système, comparable à une pyramide inversée ; plus on est haut et plus on retire de satisfaction personnelle à voir la machine en ordre de marche, puisqu'on la dirige.

En clair, c'est l'affirmation de ce que l'on a diversement nommé (« quête de la survie de la 'France' » dans le lexique de certains, « nationalisme exacerbé » pour d'autres) qui est directement responsable de l'ennui et de l'abandon du jeu. Si l'on veut faire grandir numériquement la communauté, il va falloir accepter de partager la possibilité de s'y affirmer par quelque moyen que ce soit, y compris si cela ne va pas dans le sens que certains ont maintenu à marche forcé ces derniers mois.

Il faut accepter qu'en définitive, tout le monde se fout pas mal de pseudo victoires françaises, que faire gagner la France-organique ça n'intéresse pas grand monde, et que tout ce qui préoccupe les joueurs, c'est la satisfaction qu'ils prennent à créer de la valeur, valeur dont nous devons impérativement leur laisser la liberté de choix. Valeur intellectuelle, que ce soit dans la création de journaux contestataires ou décalés, qui nous donnent à nous voir de façon peu glorieuse (je suis encore étonné de l'absence d'un canard enchaîné ou d'un hara kiri qui assumeraient ce rôle), valeur militaire si on le désire, valeur associative, comme en témoigne l'initiative de Raska, qui à mon avis se laisse trop facilement monter sur les pieds pour répondre aux exigences des fanatiques de la reconnaissance pyramidale, valeur par la création de lien social, ou de destruction de liens sociaux néfastes, et j'en passe.

Je conçois que l'écrémage a déjà été fait, et que seuls ceux qui se retrouvent dans la valeur militaire jouent encore aujourd'hui, écrémage sans doute bien conscient et volontairement organisé puis perpétré par ceux qui n'ont voulu toucher à rien (voir mon avant dernier article sur la bureaucratie), bien que le déclin démographique et l'ennui galopant soient encore au menu de ce soir, mais il est clair qu'à force de se battre pour leur ego, ou pour l'optimisation d'un système qui flatte leur ego, comme en témoignent les divers programmes présidentiels complètement en décalage avec la réalité de la masse des joueurs, à des degrés divers (celui de Lyne en premier, qui croit pouvoir résoudre le mal par le mal), le jeu en France périclitera tôt ou tard.

Aucun monstre bureaucratique n'est éternel, et il est temps de redonner dans un jeu plus de libertés individuelles aux joueurs, qui pourront enfin s'impliquer de la manière qu'ils jugeront la meilleure pour faire ce qu'eux jugent intéressant, y compris par la voie collective, sans qu'on ait les faire rentrer dans des plans ubuesques dignes de stratégies de domination mondiale de films de série B dont nous nous gargarisons encore aujourd'hui.

« Nous ne sommes pas vos pions », tel est le cri de ces milliers de joueurs qui nous ont fait un bras d'honneur en laissant leur compte se faire effacer, et que nous refusons de voir, l'esprit embrumés de défilés militaires plus excitants encore et plus flatteurs d'ego que tout ce que la vie réelle n'apporte pas au gratin pyramidal.


Cet article vous a plu ? Votez le pour que d'autres le lisent ! Et puis ça fera plaisir au rédacteur 😁

.