Mémoires d'erep : retour sur la beta et adieux sans regrets à cette V1 d'ennui

Day 943, 15:31 Published in France France by Ivan Dusaiks

Alors que la nouvelle version approche à la vitesse d'un éléphant tiré par des esclaves et marchant à reculons – ne me remerciez pas pour l'image – et alors que les joueurs français se déchirent chaque jour pour savoir qui a le plus raison, qui est le meilleur et mérite l'admiration, la grande question étant de savoir si, comme en démocratie populaire, le gouvernement a toujours raison et est la source du bonheur de tous les camarades, il en est d'autres pour soupirer cet éternel refrain : « ah, c'était mieux avant ! ».

Et il est vrai que ça l'était. Ah, le bon temps de la bêta, où nous étions 600 à nous empoigner sur des sujets futiles !

1 – Aspects techniques.

La bêta, c'était le bon vieux temps où l'on pouvait gagner des golds facilement, parce qu'à l'époque, il suffisait d'inviter une victime pour obtenir directement les fameux 5 golds. Pas de fausses promesses à faire, pas de « tu vas voir, c'est super, 300.000 trouducs se sont déjà fait piéger », il suffisait nonchalamment d'obtenir l'adresse mail adéquate, d'envoyer l'invitation, que le compte soit crée, et l'affaire était réglée.

La bêta, c'était aussi l'objectif noble d'un jeu non addictif, sur lequel les développeurs sont largement revenus depuis, puisqu'il semble que la monétisation de ce genre de site ne peut provenir que de la dépendance qui induit l'achat d'items contre de l'argent réel. On nous promettait alors 5 minutes par jour, pas plus, et il est vrai que c'en était assez proche, en une demi heure, tout pouvait être expédié, y compris la gestion de plusieurs entreprises, aujourd'hui nettement plus complexe.

La bêta, c'était aussi des mécanismes économiques assez équilibrés, adaptés pour un petit nombre de joueurs, qui a été transposé fort maladroitement en V1. Compétences personnelles multiples (il n'y avait pas que trois working skills, mais bien plus), simplicité de gestion (pas de limite arbitraire à dix employés, pas de matières premières), formules de productivité avantageuses, nous n'avions pas de problèmes pour bien débuter le jeu, c'était vraiment facile, et il n'y avait pas trop à se préoccuper de son avatar comme d'un sims en puissance, ou mieux, comme une espèce de tamagocchi pour lequel il fallait se relever la nuit sous peine de le voir dépérir.

Ce qui a été perdu en V1 :
- Un système économique simple. Pas de limite d'employés signifiait juste qu'on aurait pas à passer 1h pour gérer dix fois le même type d'entreprise tout en en maîtrisant la prolifération abusive lors de pics de consommation (il suffisait juste d'embaucher quelques gars de plus pour la semaine). Pas de matières premières signifiait pas de « buy, donate, buy, donate, buy, donate » hautement ludique pendant une demi heure, et tous ceux qui ont géré de l'armement ou du gift comprendront mon propos.
- Un début de jeu aisé et le caractère non obligatoire du jeu quotidien tamagocchi-like.

A contrario, il a tout de même eu quelques innovations techniques dont nous bénéficions encore aujourd'hui, sans nous en plaindre plus que cela.

- Un système de dons d'items
- La disparition du listage des actions privées de chaque joueur dans « ce qu'on fait vos amis aujourd'hui » (utiliser le marché monétaire, se déplacer, trouver un nouvel emploi, etc), qui faisait un peu facebook mais en plus intrusif. Comme quoi c'était possible.

La technique expédiée, venons en aux aspects les plus rigolo, faits d'attaques personnelles, d'accusations de tricheries, de manipulations, et autres joyeusetés que l'on nomme rapports sociaux. Rien à voir avec des articles de la mou... Non, cela n'existe plus.

2 – Les aspects sociaux de la version bêta.

Je m'attacherai ici au jeu français plus spécifiquement, je ne puis me prononcer sur les autres pays.

En bêta, nous étions donc 600 joueurs, dont au plus une cinquantaine d'actifs, et, au regard de la nature du jeu et de son public, nous n'avions pas l'impression de jouer nos vies chaque jour. Pas de frisson de la victoire, pas de cris de rage dans la défaite, pas non plus de patriotisme ni de sentiments exacerbés, erepublik était un jeu pépère pour jeunes adultes reposant sur les interactions sociales (confer transition précédente pour plus de détails à leur sujet).

Ceci avait évidemment de nombreux avantages. Puisque nous avions en quelque sorte un monde à construire, et non plus un patrimoine à conserver, nous pouvions à la fois être plus audacieux et plus légers quant à notre approche du jeu. Nous n'étions pas attachés à des acquis virtuels totalement révocables et facilement récupérables, le marché monétaire pouvait prendre ou perdre 20% de sa valeur, le gouvernement pouvait perdre des milliers de FRF dans des opérations foireuses, l'on pouvait perdre ou gagner un pari politique à la suite d'un projet présidentiel, tout le monde s'en foutait. C'était le jeu. Pour la défense des joueurs plus récents, il est vrai que l'importance ubuesque qu'a pris le gold, et la monétisation de celui-ci peuvent créer des ponts douteux et des crispations sentant bon la frustration, mais cela n'en reste pas moins regrettable. On s'amuse moins quand on ne joue que pour gagner ou ne pas perdre une pauvre région, ou pour défendre notre patrimoine. Erep était bien plus que cela.

De fait, si les rapports sociaux sont toujours aussi simples en V1, ils étaient alors organisés différemment, entre ceux qui voulaient jouer la simulation de façon réaliste, et ceux qui voulaient profiter des règles et de la liberté offerte par celles-ci pour faire autre chose de radicalement différent, alors qu'aujourd'hui, il s'agit bien plus de guerres de tranchées issues de frustrations mutuellement suscitées par les forces en présence. Qui gagnera l'avantage, quel qu'il soit, politique, économique, médiatique, suscitera immanquablement les haines et les jalousies sur fond de « j'ai raison t'as tort », sans qu'il y ait réellement de jeu derrière. Et pour avoir eu vent des récents et prétendument secrets mouvements stratégiques de mon propre parti, lui non plus n'est pas épargné, bien au contraire, quoiqu'en dise sa non existante charte fondatrice ; le KUL est aujourd'hui le premier à se compromettre dans des histoires stupides au nom de la victoire contre ses adversaires imaginaires du CA, et inversement. Plus de plaisir du défi, juste beaucoup de bêtise de part et d'autre pour des enjeux débiles (comprendre basiquement nuire à l'adversaire). Et qu'aucune des forces en présence ne prenne cela à son avantage, il n'y a pas de camp plus glorieux que l'autre en la matière.

Quand même le troll devient une arme au lieu de n'être qu'un jeu faussement crétin et surtout sans conséquences, il faut redouter l'emmerdement maximum. Et le pire, c'est qu'il est là.

3 – Alors, légèreté ou sérieux ?




Le camarade Staline, parangon de légèreté. Surtout pour son légendaire sens de la justice.

A l'heure de la fin de la V1, il devient temps de faire une rétrospective sur l'évolution des mentalités des joueurs d'erepublik.

L'une de mes citations préférées reste sans conteste ce bon mot de picabia : « Les gens sérieux ont une petite odeur de charogne. » Et depuis quelques mois, depuis de nombreux mois en fait, erepublik a indéniablement l'odeur insoutenable d'un charnier qu'on aurait oublié un lendemain d'holocauste. Parce qu'il faut être pragmatique. Ne rien perdre, préserver nos acquis, et surtout flatter nos gros egos de joueurs en nous faisant nous sentir puissants en participant à une espèce d'œuvre collective qui reste avant tout l'émanation inutile de l'amour-propre de quelques-uns.

Que restera-t-il de cette incroyable pesanteur confinant au ridicule ? Sans doute pas grand chose. Les plus vieux joueurs arrêtent, las de cette parodie d'éternel retour du même, sans que ces vieux joueurs représentent d'ailleurs un quelconque héritage, victimes eux-même de la nature fondamentalement caricaturale de la mémoire, le souvenir des anciens présidents se résume à presque rien – qui se souvient encore des premiers mandats du début de la V1, qui se rappelle du LEDD, du MDR, du PSD et surtout de ce qu'ils ont incarné, représenté, au delà de quelques moments-clichés gravés tels des épitaphes dans quelques rares cerveaux ? –. Paradoxalement, tout cet ennui, cette pompe, entre deux pompes bien plus métaphoriques, ne conduit à rien. Les mêmes erreurs sont inlassablement répétées, les mêmes discussions stériles reviennent périodiquement, le processus « démocratique » du jeu a toujours les mêmes ratés réguliers, et c'est d'autant plus impardonnable que tout ceci n'est que reproduction.

Si, dans la vraie vie, il ne reste, après 40 siècles d'histoire, des pharaons que de vagues pyramides qui amusent les touristes, et sur lesquelles des gamins grimpent pour la photo, je doute qu'il reste quoique ce soit des décisions cruciales, des combats vitaux, des enjeux nombrisistiquement mélodramatiques, d'erepublik, d'ici quelques mois ou années. Toute l'histoire, quelle qu'elle soit, se résume en définitive, à peu de choses, finissant généralement par passer à la trappe de l'oubli, et cette trappe a une curieuse forme de cuvette aussi haute que les trônes impériaux avec une drôle de mare au fond.

Le passage en V1, s'il fallait conclure, peut donc se résumer à peu de choses : la répétition de l'ennui, du sérieux sans vocation autre que les poubelles de l'e-histoire, d'un monde virtuel qui ressemble diablement à une tapisserie de Pénélope, d'une pesanteur fondamentalement inutile. Une seule chose à retenir : ce que nous faisons collectivement ce jour, et ce que nous ferons demain, n'est rien, alors pourquoi le vivre si solennellement, pourquoi jouer comme si cela avait la moindre importance ? Ah, qu'elle est loin l'époque du si doux « on s'en fout »... !

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