Comment jouer sans cervelle : se trémousser le drapeau

Day 789, 13:00 Published in France France by Ivan Dusaiks


Il est fort regrettable que nous n'ayons guère d'équivalent pour l'expression « flag-waving » des anglos saxons, parce que c'est l'essence même d'un jeu sans trop de cervelle.



C'est une passe d'armes qui s'engage. Un combat qui se noue, sur fonds d'enjeux très politiques. Une fois de plus, mon cher ami Clémenceau se fend d'une sortie en fanfare pour attaquer tous azimuts. Bombardement de la liberté, attaque en règle de la politique et de ceux qui pour leur malheur s'y adonnent , avec détour joyeux par le pays des trolls & des douces et tendres attaques ad hominem.

Mais tout d'abord, faisons fi du manque d'humour de notre ami, qui ne saisis pas toute l'autodérision dont font preuve certains joueurs qu'il honnit, et préférons ce genre d'icônes reluisantes, une petite image toute sobre et volontaire, rouge et jaune – bonheur, aux couleurs nationales ! – qui ont sympathiquement abrité de jolis avatars du père Adolf pendant de nombreux mois. Après tout, mieux vaut avoir l'air convaincu et convainquant que de l'être. « Cachez cet avatar que je ne saurais voir », ne voyons pas au-delà, seuls ces quelques pixels sont dignes d'intérêt.

Ne revenons pas non plus sur le pseudo sentiment de se retrouver abandonné, seul... Eh oui, c'est dur, la liberté ! Et je suis consterné lorsque je lis qu'une opposition frontale, qu'un combat entre blocs, tout à fait similaire à ce qui opposa naguère l'empire américain à l'empire soviétique, relèverait de l'apothéose de l'intelligence, du sommet olympien de l'évolution mentale ; quant au jugement de valeur sur de tels états de fait, le principe m'échappe.

Le parallèle serait simple, si tant est qu'on ait lut Francis Fukuyama. Nous vivons en France, sur eRepublik, dans un monde sans idéologie. Nous n'avons pas d'ennemi objectif, fédérateur, qui, par sa persistance et sa force d'opposition, donnerait un sens à notre jeu. Nous sommes condamnés à être libres, à trouver en nous même, en notre plaisir, en nos convictions, ce qui ferait sens pour nous, et je crois que toute velléité politique de rebâtir des murs chimériques, de Berlin, ou de Paris, pour nous rapprocher quelque peu de notre cas, relève au mieux d'un appel désespéré à un bon vieux temps qui pour nous n'a même pas existé, à l'appel à un sens historique alors que les événements n'en ont définitivement pas, et, dans le pire des cas, à l'absurde le plus plat. L'historicité ne se décrète pas.

Lorsque mes filleuls, arrivant sur le jeu, ou lorsque parfois je reçois d'étranges courriers de nouveaux qui m'ont trouvé dans le classement national, je suis toujours dérouté par leur unique question : « et maintenant, je fais quoi », comme si, individuellement ou collectivement, nous étions en mesure de trouver pour les autres un sens à leur action. A cette question, je réponds toujours « ce que tu veux », j'ouvre quelques pistes, connues, mais je ne peux pas cocher de petites cases, ce n'est pas un questionnaire médical. Plus prosaïquement, cela reviendrait IRL à demander ce que l'on peut faire de sa vie, et cette interrogation, personne sauf le concerné n'est à même d'y répondre. D'ailleurs, personne sauf lui ne devrait y répondre.

Comment, dès lors, vivre sans ennemi ? Comment jouer sans notre URSS, ou nos États-Unis, selon la perspective ? Eh bien, en se déterminant, en s'autodéterminant, en opérant ses propres choix selon des critères propres. Imaginez, si vous le préférez, comment vous vivriez après une pièce de théâtre, à l'extrême fin, à la suite des tous derniers applaudissements, sans rien pour vous fixer, retenir vos attentions ; allez vous cesser de vivre, parce qu'en cet instant de flottement, vous n'auriez plus rien à faire, ou prendre une décision ? La réponse va de soi.

Jouer en France, c'est bien jouer dans une démocratie libérale, quoiqu'on en dise, ce régime a certes ses défauts, mais il comprend d'abord et surtout la presque obligation d'une part d'égoïsme, celle de dire ce que l'on veut, car en définitive, nous n'avons rien pour contrarier nos libertés. Pas de stimulation extérieure facile, pas d'excitants, pas d'euphorisants artificiels, mais l'éternelle question du désir. Après tout, qu'est-ce que je veux ?

De là viennent nos problèmes de démographie - les images hideuses, comme le ridicule, ne tuent pas, l'abondance d'informations nuit, certes, mais n'est pas insurmontable ; et le médecin-journaliste s'attaque aux symptômes plutôt qu'à la véritable maladie. La véritable difficulté, c'est que le jeu est arrivé dans une période de maturité. Les groupes, amicaux, politiques, militaires, sont déjà constitués, les défis économiques se font plus rares, les conquêtes militaires sont avant tout une affaire de grand âge. Les objectifs faciles et motivants, le désir de puissance, le fait d'être, comme on dit sur le net, un GrosBill, n'est ici clairement plus possible, et ça, ni l'état ni les politiques n'y peuvent quelque chose.

J'en décevrai sans doute beaucoup en affirmant que le manque de désir de jouer est d'abord une problématique individuelle, et que ce sont les projets, oui, les projets individuels, pouvant évidemment inclure une fraction de la communauté, qui seuls sont désormais à même d'y remédier. Comme je l'évoquais hier, nous manquons de leaders, pas de grandes théories sur un monde à refaire, et certainement pas de cris désespérés de lassants « je m'ennuie ».

Pour notre plus grand désarroi, l'homme moderne, qui marche sur deux jambes, est, jusque sur un jeu en ligne, nécessairement libre, même s'il est amené à désirer ne pas l'être (c'est en fait le sens fondamental de l'existence de nos armées) mais, pour notre bonheur, il peut encore contempler les grands combats de singes des contrées toutes voisines.

La victoire nous échappe, parce que nous aurions dépassé le stade primitif des lances et gourdins ? Je ne crois pas, non, je n'en suis vraiment pas convaincu. Notre jeu est différent, et s'il attire moins de fanatiques frustrés, d'admirateurs du drapeau à la petite semaine, nostalgiques du Congo Belge et de l'Algérie française, si la possibilité de pouvoir faire nos choix sans être un paria, hors-communauté, nous coûte temporairement quelques régions de France, je la paie avec joie, parce que je croise chaque jour assez d'idiots pour avoir l'envie folle de les voir jouer ailleurs.

.